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« Les industriels des secteurs de l’aéraulique et de la thermique se retrouvent face à un avenir incertain et risqué »

« Les industriels des secteurs de l’aéraulique et de la thermique se retrouvent face à un avenir incertain et risqué »

La France est engagée, comme bien d’autres pays, dans une transition énergétique avec des objectifs de neutralité carbone en 2050. Mais derrière les annonces sur une électrification généralisée ou le déploiement de l’hydrogène « vert », les constructeurs et utilisateurs d’équipements aérauliques et thermiques sont confrontés à des choix de technologies de rupture, mais sans savoir lesquelles seront réellement déployées. Pour les accompagner, le Centre technique des industries aérauliques et thermiques (Cetiat) contribue à partager l’information et les connaissances, constate Bernard Brandon, directeur général du Cetiat.

Propos recueillis par Cédric Lardière

ViPress Mesure. Dans le cadre de la transition énergétique, pouvez-vous rappeler la situation en France ?

Bernard Brandon. Selon les derniers éléments disponibles, l’objectif de la France est la neutralité carbone en 2050, qui se traduit par la réduction de la consommation énergétique finale. On retrouve ici des objectifs existants concernant une baisse de la consommation énergétique finale de 20 % en 2030 et de 50 % en 2050-la base de comparaison est l’année 2012-, à laquelle est venue se greffer plus récemment un objectif de -7 % en 2023 (par rapport à 2012), ainsi qu’une réduction de la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 à 40 % en 2030 (toujours sur la base de 2012) et une part d’énergies renouvelables (EnR) de la consommation finale brute d’énergie en 2030 à « 33 % au moins », au lieu de 30 % selon les objectifs précédents. Les émissions devront donc baisser de 80 % équivalent carbone en 2050 : c’est le cadre dans lequel les industriels, et l’industrie de manière plus générale, doivent désormais évoluer.

ViPress Mesure. Dans le cadre du contrat d’objectifs et de performance signé avec le syndicat Uniclima et l’État pour la période 2020-2023, le Cetiat s’intéresse notamment à la transition écologique et à l’industrie du futur, essentiellement autour de la décarbonation.

Bernard Brandon, directeur général du Centre technique des industries aérauliques et thermiques (Cetiat) : « A mi-parcours environ, six grands projets, représentant un budget total de 2,5 M€, ont été lancés sur le biométhane, les biocombustibles liquides, les mélanges hydrogène-gaz naturel, les fluides frigorigènes, la simulation des systèmes, etc. »

Bernard Brandon. Nous avons décomposée l’approche du Cetiat en deux parties : l’une portant sur la vision des industriels constructeurs d’équipements et de systèmes aérauliques et thermiques (équipements de chauffage, de ventilation, de séchage, de polymérisation, de climatisation, de refroidissement…) et l’autre s’intéressant aux industriels utilisateurs de ces systèmes. S’ils ont plutôt travaillé sur l’évolution de leurs produits-des évolutions pas forcément toujours très faciles à faire-, les constructeurs d’équipements vont devoir mettre sur le marché des équipements permettant de répondre aux enjeux définis précédemment et, éventuellement, à des injonctions réglementaires, plus ou moins précises. Ces industriels sont donc obligés de passer à une logique de rupture technologique, abandonnant complètement certaines productions pour passer sur d’autres, abandonnant certains concepts pour travailler sur d’autres. Quant aux utilisateurs d’équipements aérauliques et thermiques, ils ont comme injonction de travailler sur le bilan carbone de leurs usines et des produits fabriqués. Ces industriels sont alors confrontés à des choix de procédés de fabrication qui, là aussi, non seulement se traduisent par des évolutions ou des améliorations, mais risquent aussi de se traduire, pour certains, par l’abandon complet de certaines technologies pour passer à d’autres. Mais tous les acteurs se retrouvent face à un avenir incertain et risqué.

ViPress Mesure. Qu’entendez-vous par là ?

Crédit : AirProducts

Bernard Brandon. Il y a plusieurs raisons à cette incertitude. Tout d’abord, on annonce la disparition des combustibles fossiles. On voit alors apparaître un débat entre véhicules électriques et hybrides, où la solution n’utiliserait pas forcément une énergie unique, mais ferait peut-être appel à l’hybridation. Cette approche peut également paraître intéressante dans le bâtiment. Mais toutes ces annonces communicantes seront-elles la réalité future ? L’avenir nous le dira. Une autre raison porte sur les « solutions miracles » telles que l’électrification, avec une électricité produite de manière « verte » pour remplacer les combustibles fossiles, ou l’hydrogène. A y regarder de plus près, tout ne sera pas facile à électrifier et il n’est pas prévu de multiplier par trois ou par quatre la production d’électricité. En ce qui concerne l’hydrogène, la communication est pléthorique, mais un peu désordonnée. La Grande-Bretagne imagine des réseaux d’hydrogène à l’intérieur de certaines villes-c’est une logique de distribution de l’hydrogène comme on distribue actuellement le méthane. Le plan Hydrogène français vise essentiellement une utilisation par les gros consommateurs, à savoir les industries, et un transport par poids lourds, trains, etc. Et l’Allemagne envisage plutôt un panachage de ces approches. Quand on évoque la transition énergétique dans les différents pays européens, les solutions envisagées ne seront par ailleurs pas forcément transposables d’un marché à l’autre-cela concerne plutôt les industriels constructeurs. Chaque marché a ses propres contraintes : un particulier allemand paie l’électricité 65 % plus cher qu’un particulier français, un industriel allemand, petit consommateur d’électricité, la paie 40 % plus cher qu’un même industriel français, et l’écart atteint même 87 % entre des gros consommateurs allemand et français (plusieurs dizaines de gigawattheures). Sachant en plus que le poids carbone moyen de l’électricité en Allemagne est cinq à six fois supérieur à celui en France. La concurrence non contrainte, elle, va plutôt intéresser les industriels utilisateurs. Prenons l’exemple d’un cimentier qui choisit de passer à un four à hydrogène « vert » pour réduire son impact carbone. Il sera alors concurrencé par des cimentiers d’autres pays où les contraintes ne sont pas forcément les mêmes. Et comme je l’ai indiqué précédemment, l’abandon de solutions existantes pour des technologies de rupture se traduit pour les industriels par une prise de décision difficile, et des décisions engageantes, à la fois pour les phases de développement et de construction de produits, ou de procédés, et pour la phase d’exploitation de ces équipements, ou de ces procédés. Une fois la décision prise, il ne sera plus possible de revenir en arrière si d’aventure la solution retenue n’était pas intéressante.

ViPress Mesure. Que peut apporter un centre technique industriel à tous ces industriels ?

Crédit : Cetiat

Bernard Brandon. Le rôle du Cetiat est relativement modeste et se résume surtout à réduire les risques que j’évoquais précédemment. Pour cela, nous les traitons d’une manière collective, en partageant l’information et les connaissances. Chaque industriel n’est ainsi pas obligé de prendre individuellement le risque de lancer une recherche et développement sur tous les thèmes susceptibles de l’impacter. Nous intervenons également auprès des instances politiques en leur apportant des arguments pour éviter que des choix non pertinents d’un point de vue technico-économique soient pris. Comme vous le mentionnez dans la deuxième question, un chapitre du contrat d’objectifs et de performance 2020-2023 du Cetiat est dédié à la transition énergétique des équipements et systèmes aérauliques et thermiques, et porte en particulier sur l’évolution des combustibles, l’évolution des fluides frigorigènes, l’efficacité énergétique - la neutralité carbone passe aussi par l’évolution des sources d’énergie et des consommations d’énergie. Cela se traduit par des budgets d’un montant de 5 millions d’euros, sur quatre ans, alloué aux actions collectives et de 3,5 M€, sur quatre ans, pour les accompagnements individuels dans le cadre de prestations de services. Pour la décarbonation de l’industrie, à savoir les utilisateurs d’équipements et systèmes aérauliques et thermiques-un autre chapitre du contrat d’objectifs et de performance-, nous avons fait le choix de travailler avec l’Alliance Allice. Si le Cetiat est légitime pour travailler avec les industriels constructeurs, puisque ceux-ci sont ses ressortissants, il l’est beaucoup moins pour travailler avec les industriels utilisateurs, qui représentent l’ensemble de l’industrie française. Allice mène un travail d’accompagnement via des actions collectives à hauteur d’un montant de 2 M€ sur quatre ans et, dans le cadre de ses prestations de services, le Cetiat a budgété un accompagnement individuel de 4 M€ sur quatre ans.

ViPress Mesure. Pouvez-vous citer quelques exemples d’accompagnement déjà initiés ?

Bernard Brandon. A mi-parcours environ, six grands projets, représentant un budget total de 2,5 M€, ont été lancés sur le biométhane, les biocombustibles liquides, les mélanges hydrogène-gaz naturel, les fluides frigorigènes, la simulation des systèmes – parmi les enjeux liés aux équipements et systèmes aérauliques et thermiques, on trouve aussi tout ce qui tourne autour des performances des algorithmes de régulation et de l’hybridation d’un certain nombre d’équipements -, etc. Signalons également le lancement en mars ou avril 2022 d’un projet sur la combustion d’hydrogène à 100 % au Cetiat, que ce soit pour des applications de brûleurs domestiques ou pour des applications de brûleurs industriels. Du côté de la décarbonation de l’industrie, l’Alliance Allice a déjà conduit une quinzaine d’actions collectives, pour un budget global de 690 000 euros (l’électrification de procédés thermiques, en s’intéressant aux aspects technologiques et économiques, les pompes à chaleur très haute température, qui pourraient se révéler une alternative aux chaudières de fortes puissance à très haute température, les écoparcs industriels…).

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