Une équipe du LNE a développé un étalon quantique pour l’ampère avec une incertitude record
Il aura fallu huit ans de travail pour que des chercheurs du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), en collaboration avec un chercheur du PTB, mettent au point un nouvel étalon quantique générant des courants à des valeurs parfaitement quantifiées, ne nécessitant aucune correction.
Depuis 2019, les unités du Système International (SI) sont définies par la fixation de la valeur de sept constantes de la nature. Ainsi, l’ampère qui est l’unité électrique de base du SI est désormais lié à la charge élémentaire e. Avant, et ce depuis 1948, la définition de l’ampère reposait sur le théorème d’Ampère reliant ainsi l’unité de courant électrique au newton.
Sa réalisation nécessitait donc la mise en œuvre d’expériences électromécaniques complexes ne pouvant atteindre la précision nécessaire à la traçabilité des mesures électriques dans le SI. Si bien qu’en pratique, le courant électrique était mesuré dans les instituts nationaux de métrologie à partir du farad, en utilisant des expériences de charge de condensateur, ou à partir du volt et de l’ohm, en appliquant la loi d’Ohm, mais avec des incertitudes de mesure supérieures à un millionième.
La nouvelle définition du SI a ouvert la voie à des réalisations pratiques exploitant les phénomènes quantiques. Le défi consiste désormais à développer un étalon de courant quantique capable de contrôler un flux de charges élémentaires e avec une incertitude de mesure cible inférieure à 10 milliardièmes. De nombreux efforts ont été consacrés au développement de nano-dispositifs capables de transférer les électrons un par un. Mais, ces systèmes, qui fournissent des courants bien inférieurs à 1 nA, n’ont jamais pu démontrer une telle exactitude.
Des incertitudes relatives inférieures à 10 milliardièmes
L’étalon quantique de courant est fondé sur l’application de la loi d’Ohm aux étalons quantiques de tension Josephson et de résistance de Hall triplement connectés en série avec un détecteur supraconducteur utilisé pour amplifier ou réduire le courant de sortie avec exactitude.
Il aura fallu attendre 2016 pour qu’une équipe du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) explore une voie alternative fondée sur l’application de la loi d’Ohm aux étalons quantiques de tension et de résistance, qui exploitent l’effet Josephson et l’effet Hall quantique, et permettent ainsi de réaliser le volt et l’ohm à partir de la constante de Planck et de la charge élémentaire. Ainsi, cette équipe développa un générateur quantique de courant programmable atteignant l’incertitude cible dans la gamme des milliampères[1]. Cependant, la valeur quantifiée du courant n’était atteinte qu’après l’application d’une correction qui nécessitait des mesures supplémentaires dégradant les incertitudes.
Après huit ans de travail, les chercheurs du LNE, en collaboration avec un chercheur du Physikalisch-Technische Bundesanstalt (PTB), viennent de mettre au point un nouvel étalon quantique générant des courants à des valeurs parfaitement quantifiées, ne nécessitant aucune correction. Il est fondé sur la combinaison des étalons quantiques de tension Josephson, de résistance de Hall et d’un amplificateur supraconducteur combinés dans un circuit quantique original (voir photographie).
La démonstration de l’exactitude des courants générés, aux valeurs quantifiées ±(n / p) . e . fJ, où n et p sont des paramètres de contrôle entiers et fJ est la fréquence de Josephson, a été faite avec des incertitudes relatives inférieures à 10 milliardièmes[2] et pour des courants 500 fois plus faibles qu’en 2016, c’est-à-dire dans la gamme des microampères. Ceci démontre, au passage, l’amélioration du rapport signal sur bruit du nouveau système.
Vers une réalisation quantique universelle des unités électriques
L’ampère peut donc, désormais, être réalisé sur une large gamme de valeurs de courant avec des incertitudes plus faibles de deux ordres de grandeur que les meilleures capacités d’étalonnage des instituts nationaux de métrologie. Cette démonstration a nécessité la mise en œuvre d’une instrumentation comprenant cinq dispositifs quantiques, le nouvel étalon de courant quantique étant au cœur de cet ensemble.
Cette instrumentation quantique complète jette les bases d’une réalisation quantique universelle des unités électriques, de tension, de courant et, même, de résistance, dans une seule expérience. Dans cette perspective, les réfrigérateurs sans fluide cryogénique et les dispositifs quantiques fonctionnant dans des conditions expérimentales moins extrêmes, tels que ceux fondés sur le graphène ou les isolants topologiques magnétiques, simplifieront la mise en place et le fonctionnement de l’expérience, rendant ainsi la réalisation d’unités électriques plus pratique et performante.
[1] J. Brun-Picard, S. Djordjevic, D. Leprat, F. Schopfer and W. Poirier, “Practical quantum realization of the ampere from the elementary charge”, Phys. Rev. X, 6, 041051 (2016). https://doi.org/10.1103/PhysRevX.6.041051.
[2] S. Djordjevic, R. Behr and W. Poirier, “A primary quantum current standard based on the Josephson and quantum Hall effects”, Nat. Commun., 16, 1447 (2025) https://doi.org/10.1038/s41467-025-56413-9.